Vous connaissez sans doute le « mobile-first », cet adage bien connu selon lequel un service doit d’abord être pensé pour les téléphones. Il sous-entend que les créateurs d’un produit doivent réfléchir à son utilisation en mobilité avant d’envisager que leurs clients s’en servent derrière leur ordinateur.
Depuis 2017, il y a plus de recherches Google sur mobile que sur ordinateur. Et comme la tendance n’est pas partie pour s’inverser, le mobile-first apparaît comme une évidence.
Et pourtant, bien que passionné par les évolutions technologiques, je dois me rendre à l’évidence : je ne suis pas mobile-first. Je suis desktop-first.
L’inefficacité des smartphones
Le problème, c’est que nos téléphones sont infiniment moins efficaces que nos ordinateurs pour une quantité substantielle de tâches. Pas toutes, évidemment. Leur atout est de tenir dans notre poche, ce qui nous permet d’accomplir certaines choses dans des contextes aussi peu propices au travail qu’un métro bondé. Un MacBook ne pourra jamais rivaliser avec ça.
Ainsi, beaucoup de gens ont pris l’habitude d’accomplir certaines tâches depuis leur téléphone, simplement parce qu’il est plus facilement accessible que leur ordinateur. La friction au démarrage est si faible que l’usage du smartphone ne cesse d’augmenter. Quelle que soit la finalité.
Pourtant, malgré leur progression fulgurante de ces dernières années, les smartphones sont encore loin d’égaler les ordinateurs. Au moins dans cette perspective d’efficacité dans la plupart de nos travaux quotidiens. Dans l’immense majorité des cas, je me sens terriblement mal outillé lorsque je suis contraint d’effectuer une tâche depuis mon téléphone.
Si vous êtes contraint par la mobilité, tant que vous arrivez à couper de temps en temps et ne pas devenir l’esclave de vos notifications, alors tant mieux. Continuez à profiter de votre smartphone pour avancer dans vos objectifs. Les petits écrans ont même certaines vertus « anti-dispersion » plutôt appréciables.
Mais si vous n’avez pas de contrainte de mobilité particulière (au bureau, typiquement), la question est bien différente. Il y a de fortes chances que votre téléphone soit moins adapté à l’accomplissement de vos tâches qu’un ordinateur. Notamment si elles consistent à « produire ».
Production versus consultation
Prenons un exemple simple : répondre à un e-mail. À part s’il s’agit d’une réponse d’une ligne, faire ça depuis mon téléphone m’est presque insupportable. Pourquoi donc ? Parce qu’au moment de le faire, je ne pourrai pas m’empêcher de réfléchir au traitement de cette même tâche, mais depuis mon ordinateur. Avec mon vrai clavier, toutes mes informations à portée de clic, mon Superhuman chéri, mes raccourcis clavier, et un plus grand écran. Avec la possibilité d’ouvrir des onglets en parallèle, si j’ai besoin de quelques informations pour agrémenter ma réponse.
Le verdict est sans appel : ça irait dix fois plus vite depuis mon ordinateur. Il est donc dix fois plus frustrant de le faire sur mobile. Il n’y a bien que dans les situations d’urgence extrême où je me sens obligé de faire ça avec mon téléphone. Le reste du temps, je garde ça pour une vraie session d’e-mails — idéalement sous forme de batch.
Ce constat se vérifiant pour la majorité de mes tâches, je n’ai pas peur de dire que je suis desktop-first — quitte à passer pour un dinosaure auprès de ma petite sœur. Et à m’énerver dans mon coin quand un service web que je veux tester rapidement n’est disponible que sur mobile.
Desktop-first donc, mais pas desktop-only non plus. Pour certaines tâches, la différence d’efficacité n’est pas si grande. Ça dépend vraiment de ce qu’on cherche à faire. Si on reste dans le contexte des e-mails (qui occupent 28 % de la journée des travailleurs, selon McKinsey), une étude statistique de Superhuman illustre bien là où je veux en venir :
Nous envoyons 3 fois plus d’e-mails depuis nos ordinateurs que depuis nos téléphones.En revanche, nous lisons nos e-mails 8 fois plus depuis notre téléphone que depuis notre ordinateur.
Chiffres de Superhuman (février 2020).
Je trouve que ces chiffres montrent bien la dichotomie que j’ai en tête : production versus consultation. En extrapolant encore plus, on pourrait même dire : écriture versus lecture. Ou tâches actives versus tâches passives.
Les téléphones sont excellents pour des tâches de consultation, de lecture ou autre consommation de contenu. Des activités qui, sans être totalement passives, demandent un peu moins de dévouement que l’écriture de votre prochain roman. Pouvoir les traiter en mobilité donne aux téléphones un unfair advantage, comme on dit au pays des start-up.
Mais pour toutes les tâches plus actives, où j’ai activement besoin de produire quelque chose (des articles, du code, des specs, des e-mails, des réflexions stratégiques…), les ordinateurs sont encore largement au-dessus.
On en reviendrait presque à la dichotomie maker vs. manager de Paul Graham. Si vous êtes un manager, votre quotidien peut être vaguement gérable avec un simple téléphone (encore que…), sans que la différence de productivité ne soit si flagrante. Mais si vous êtes du côté maker, bon courage pour avancer sur votre chantier avec vos talons aiguilles.
Time to Type (TTT)
Dans les FPS, le Time to Kill (TTK) désigne le temps qu’il faut pour venir à bout d’un adversaire, une fois que vous avez commencé à lui tirer dessus. Dans Call of Duty, le TTK est très faible alors que dans Apex Legends, vous pouvez vous prendre pas mal de balles dans le buffet avant de mourir.
En réfléchissant, j’ai fini par comprendre ce qui me saoule le plus quand je dois produire sur mobile : le Time to Type (😅) est juste horrible. Pour la plupart des tâches, on peut constater que les smartphones ont un gros déficit de vitesse d’exécution. Ça se joue sur deux dimensions :
- la vitesse d’accès au clavier ;
- la vitesse de frappe au clavier.
SwiftKey a beau faire des merveilles pour deviner ce que j’ai envie d’écrire depuis mon smartphone, je ne taperai jamais aussi sur vite que sur un clavier physique. Dès qu’il s’agit de manipuler du texte ou profiter des raccourcis clavier, le mobile est très loin derrière.
C’est pour ça qu’Alfred ne fait des miracles que sur macOS. Et c’est précisément ce qui rend le desktop imbattable. Sans même évoquer la notion de plaisir de frappe, bien supérieur sur desktop selon moi.
Pour un exemple comme celui-ci (une recherche Google), le mobile ne s’en sort pas si mal. Mais plus la tâche est complexe, et plus l’écart se creuse avec le desktop.
J’ai quand même essayé de mesurer l’écart de vitesse de frappe entre mobile et desktop, histoire de vérifier mes intuitions. 10FastFingers me donne les résultats suivants :
- sur desktop, je tape entre 80 et 90 mots par minute ;
- sur mobile, je tape entre 30 et 40 mots par minute.
On ne peut pas dire que cette comparaison soit parfaitement équitable, dans la mesure où elle ne tient pas vraiment compte de là où SwiftKey me fait gagner le plus de temps : la prédiction des mots suivants. Ce test n’est donc pas des plus rigoureux, mais il donne quand même une idée. Je tape globalement deux fois plus vite sur mon ordinateur.
Alors oui, mon historique technologique y est sans doute pour beaucoup. Ayant grandi dans les années quatre-vingt-dix, mes habitudes et réflexes numériques se sont forgés derrière avec un ordinateur, alors qu’ils sont complètement hors du champ de pensée de n’importe quel gamin né après l’iPhone.
Du reste, une étude de l’ETH de Zurich parle d’environ 38 mots par minute pour la vitesse moyenne d’écriture sur un clavier de smartphone. On est loin de mes 80-90 mots par minute sur ordinateur, ou même 110 d’après Monkeytype. Et encore, je suis loin d’être un dactylo professionnel.
Cerveau → Information
Pourquoi le temps d’accès à son clavier est-il si important ? Pour la même raison que vous préférez chercher sur Google plutôt que lire un annuaire du début à la fin. Parce que la majorité de nos tâches commencent par une recherche. C’est la méthode la plus efficace pour accéder à l’information.
En faisant une recherche, on écrit des lettres les unes à la suite des autres, jusqu’à former une expression bien trop unique pour en faire un bouton qui trônerait sur la barre de raccourcis de son smartphone.
Si ma tâche consiste à ouvrir une app qui se trouve sur l’écran d’accueil de mon téléphone, alors en effet, appuyer sur ce bouton est presque aussi rapide que lancer la même app avec mon ordi. Mais dès qu’on va un poil plus loin qu’une tâche aussi triviale, l’écart en faveur du desktop ne cesse d’augmenter.
J’ai un peu l’impression d’enfoncer une porte ouverte, mais je me suis souvent senti en décalage avec des personnes qui travaillent énormément sur leur smartphone, pour faire des tâches qui leur prendraient trois fois moins de temps sur ordinateur… s’ils étaient correctement outillés. C’est peut-être ça le problème.
Forcément, s’ils ne connaissent pas Alfred ou d’autres applications du genre, ils n’ont pas conscience du temps qu’ils perdent. Peut-être que ça viendra si jamais ils passent par ici.
En attendant, si j’ai besoin d’envoyer un message à quelqu’un depuis mon bureau, au lieu de dégainer mon téléphone, je continuerai à le faire depuis la version web/desktop de mon application de messagerie. Que ce soit pour un SMS (merci Android Messages), WhatsApp, Slack, Discord, Telegram ou que sais-je. Ça a bien dû me faire gagner quelques centaines d’heures, depuis le temps.
Et les tablettes, dans tout ça ?
Ah oui tiens, les tablettes. Ne serait-ce pas le compromis idéal ? Pas encore, selon moi. Mais qui sait, ça pourrait le devenir. On s’en approche. Ces derniers temps, Apple fait beaucoup d’efforts pour qu’iPadOS rattrape macOS en termes de fonctionnalités.
L’iPad Pro est même en train de devenir la machine de travail principale de certains. Je n’en fais clairement pas partie — je n’ai même pas de tablette. Mais si la tendance se poursuit, est-ce que la bascule ne finirait pas par arriver ?
Les problématiques de clavier physique sont résolues, les raccourcis arrivent progressivement sur iPadOS, macOS repose quant à lui sur des fondements qui commencent à dater, et il faut bien avouer que les interfaces tactiles ont quelques avantages. Bref, il est encore un peu tôt pour que je devienne tablet-first, mais je suis curieux de voir ce que le futur des tablettes nous réserve.
Autoroutes de l’information
Mon épouse est mobile-first. Je trouve ça impressionnant. Elle peut passer 20 minutes à faire une étude de marché depuis son téléphone, alors qu’elle a un laptop à portée de main. Quand cette navigation saccadée ne semble pas la déranger, j’imagine à quel point la tâche serait plus fluide si elle pouvait ouvrir tous ces onglets sur un de mes écrans, en profitant des deux autres pour ranger correctement l’information dans son second cerveau. Ce serait tellement plus agréable.
Quand j’ai une tâche qui me vient en tête, je visualise inconsciemment toutes les micro-étapes je vais devoir enchaîner pour atteindre mon objectif. Sur mobile, je me prépare à traverser un champ de mines. Alors que sur (mon) ordinateur, ça ressemble plutôt à une autoroute. Mon MacBook a encore de beaux jours devant lui.
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🙏 Merci pour votre lecture
Je sais que votre attention a beaucoup de valeur, dans ce monde où ceux qui essaient de la capter sont de plus en plus nombreux. Votre temps, lui, n’est pas extensible, alors ça me touche d’autant plus.
Si mes textes vous ont apporté quelque chose et que vous aimeriez rendre la pareille, le mieux est d’en parler autour de vous. Si vous êtes conscient du temps que ça représente, vous pouvez aussi m’offrir un thé.
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