Aujourd’hui, vous faites un match de tennis. Vous êtes au top de votre forme, et toutes les conditions semblent réunies en votre faveur. Vous avez droit à une raquette haut de gamme, pour ne pas dire surpuissante. Disons qu’elle est unanimement considérée comme la meilleure raquette de tennis du monde, et qu’elle est parfaitement adaptée à votre style de jeu. Bref, vous êtes outillé comme jamais, prêt à en découdre.
Votre adversaire, lui, n’est pas si gâté. Il sera contraint de jouer ce match avec un costume cintré, une vieille paire de chaussures inadaptées au tennis, et une raquette plus proche de la poêle à frire que de l’entrée de gamme de chez Artengo. Sauf que votre adversaire du jour, c’est Roger Federer. Le seul et l’unique.
À votre avis, qui gagne ?
Pratique > Outils
Bien sûr que vous allez perdre. Même en ayant les meilleurs outils, même en donnant à Roger la pire raquette de tennis du monde, vous n’y couperez pas. Vous allez prendre votre fessée comme tout le monde. (Dans le cas contraire, je serais bien curieux de savoir comment un si bon joueur de tennis a pu se retrouver sur mon site.)
Pourquoi cet exemple bizarre ? Parce qu’il reflète bien ce qui se passe avec les outils de productivité, de nos jours. Les gens passent plus de temps à chercher la meilleure raquette de tennis qu’à travailler leur revers.
Ma métaphore est un peu simpliste, c’est vrai. Mais je la trouve assez parlante pour décrire ce phénomène qui nous touche particulièrement, nous autres passionnés d’outils de productivité. Ce phénomène qu’on peut rapprocher du syndrome du nouvel objet brillant, et qui nous pousse dans des logiques totalement contre-productives. La plus criante d’entre elles étant de passer plus de temps à fantasmer sur le dernier outil à la mode, qu’à réfléchir en profondeur à nos usages ou à perfectionner nos méthodes de travail.
J’essaie autant que possible de ne pas plaider coupable, mais avec un site qui s’appelle jonathanlefevre.com/outils/, quelques précisions s’imposent.
Les outils ne vont pas résoudre vos problèmes profonds
Devinez pourquoi tant de gens sont frustrés par des problématiques de productivité qui subsistent ? Parce qu’au lieu de penser et de construire des systèmes, ils sont obnubilés par les outils. Ils s’imaginent que les outils vont résoudre tous leurs problèmes. Les contenus du genre « Les 5 meilleures apps de prise de notes pour 2021 ! » feront toujours plus de clics qu’un article de fond qui interroge en profondeur vos systèmes. Le fétichisme des outils perdure.
Il y a pourtant une grande différence entre une personne obsédée par les outils de productivité et une personne réellement productive.
J’irais même jusqu’à dire qu’il existe un « cycle de maturité » dans l’intérêt qu’on porte aux outils. Moins on a d’expérience, plus nous avons tendance à nous interroger sur les outils en tant que tels, leurs fonctionnalités et autres problématiques relativement terre à terre. Au lieu de réfléchir à nos systèmes, nous espérons qu’un outil sera capable de le faire à notre place.
Plus on gagne en expérience, et plus nos questionnements vont sortir des comparaisons pratiques entre les fonctionnalités de chaque outil, pour aller vers des raisonnements qui prennent davantage de hauteur. Des questionnements quasi philosophiques sur la manière d’utiliser une app sur le long terme, bien au-delà de sa simple découverte fonctionnelle.
Plus profondes, ces considérations sont évidemment moins populaires que les promesses d’une résolution immédiate par la dernière application à la mode. Bien souvent, la fascination pour les outils — et pour la nouveauté — l’emporte. Le fameux syndrome du nouvel objet brillant.
Comment expliquez-vous qu’autant de logiciels de todo se soient succédé depuis une vingtaine d’années, alors qu’un livre comme Getting Things Done, qui va lui-même fêter ses vingt ans, est toujours pertinent aujourd’hui ? La réponse est pourtant simple : GTD se focalise sur les systèmes, pas sur les outils.
Les systèmes sont au-dessus des outils
Ce que j’appelle ici les systèmes, ce sont avant tout des méthodologies, une organisation, un ensemble de bonnes habitudes qui finissent par devenir des réflexes, jusqu’à produire d’impressionnants effets cumulés. Des réflexes qui ne s’acquièrent que par la pratique répétée et délibérée d’une discipline, et l’apprentissage de ses fondamentaux. Des méthodes que vous allez perfectionner, vous approprier jusqu’à construire votre propre version, votre propre système, parfaitement adapté à votre singularité. Et c’est bien ce système-là qui va résoudre votre problème. Il le fera parfois d’une façon si probante que vous aurez envie d’en faire profiter tout le monde. C’est typiquement le genre d’accomplissements qui n’arrivent pas du jour au lendemain. Mais bien souvent, cette difficulté est synonyme d’une certaine valeur. Elle peut cacher la plus belle des récompenses : de la pertinence sur le long terme.
Quand je dis que GTD se focalise sur les systèmes plutôt que les outils, ce n’est pas une exagération pour enjoliver sa remarquable longévité. Vous pouvez très bien appliquer les principes de GTD avec un bloc-notes en papier, sans vous demander si vous devriez plutôt utiliser Notion, Evernote, Todoist ou que sais-je.
Les outils ne sont pas une fin en soi. Les outils doivent servir un but, une méthodologie, une organisation. Les outils naissent, meurent, et se renouvellent sans cesse. Tandis que les (bons) systèmes traversent les époques. Un peu comme les bons articles.
Long terme avant tout
Je ne sais pas si mes articles sont bons, mais je sais au moins pourquoi ils sont longs. Je ne veux pas me contenter de vous présenter les fonctionnalités d’un outil. Je veux surtout vous parler des raisons pour lesquelles je les utilise, des systèmes qu’ils me permettent de mettre en place, des méthodes qu’ils me permettent d’affiner. Tout ce qui prend du temps à comprendre, mais qui a bien plus d’intérêt que l’outil en lui-même. À chaque fois que je parle d’un outil, c’est surtout l’occasion de vous présenter un système.
Beaucoup de gens se demandent quel outil ils devraient choisir pour écrire des articles, gérer leur liste de tâches ou prendre des notes. Bien souvent, la meilleure solution consiste à simplement faire un choix. Peu importe lequel, tant qu’on commence à pratiquer. L’important est de commencer le plus tôt possible à réfléchir à ses systèmes. Aucun outil ne remplacera l’expérience que vous gagnerez avec des années de pratique.
Le pire scénario ? Passer des centaines d’heures à maîtriser un outil (au détriment des fondamentaux d’une discipline), pour se retrouver complètement démuni au moment où il disparaît.
Le poids des années comme indicateur
Tous les outils que je présente sur ce site doivent répondre à une question simple : depuis combien de temps je m’en sers ? Depuis combien de temps l’utilisation de cet outil a-t-elle ma « validation » ? Cet outil a-t-il vraiment affronté la redoutable épreuve du temps qui passe ? La ligne J’utilise depuis
(qu’on trouve à la fin de mes textes sur les outils logiciels) est probablement la plus intéressante de chaque article. Elle donne la validation la plus inestimable qui soit : celle du temps qui passe. Et quand mes choix sont perpétuellement mis à l’épreuve par le syndrome du nouvel objet brillant, c’est d’autant plus pertinent.
Du coup, j’ai tendance à ne présenter que des outils qui ont une certaine résistance à l’épreuve du temps. Je n’ai pas envie de passer des heures à écrire sur un outil que j’arrêterai d’utiliser dans deux mois — transformant ainsi mon article en un contenu périmé, pour ne pas dire caduque. Je laisse volontiers l’agitation de la nouveauté aux personnes ayant des objectifs de visibilité court-termistes.
À chaque fois que j’ai voulu faire des exceptions (coucou Motion), je l’ai vite regretté. À l’inverse, j’ai mis presque 4 ans à écrire mon article sur Notion, mais c’est le temps qu’il m’a fallu pour être suffisamment confiant dans sa capacité à rester un outil pertinent pour moi sur le long terme.
Indicateur faillible
Et pourtant, je sais très bien que ça peut partir en sucette du jour en lendemain. Tout ça ne tient parfois qu’à un fil. Que vais-je devenir si Apple décide de mettre des bâtons dans les roues d’Alfred, que j’utilise près de 400 fois par jour depuis 2014 ? En 2016, qui aurait pu croire que Trainline allait à ce point détruire ce qui faisait la force de feu Captain Train ? Pourrais-je continuer sereinement à passer dix heures par jour sur Notion s’ils se faisaient racheter par Microsoft ou Google ? Que ferai-je de mon article sur CleanShot le jour où un nouvel outil de capture le ridiculisera ?
Vous voyez bien le problème. Je sais très bien que mon système est faillible. Ce que j’essaie de vous dire, c’est qu’il l’est sans doute beaucoup moins que si j’écrivais sur des outils que j’ai pu adorer pendant quelques semaines, mais dont je ne me sers plus jamais au bout de quelques années — seul véritable moment de vérité. Le temps qui passe reste mon indicateur favori quant à la pertinence de certains outils sur le long terme. Jusqu’à ce qu’ils se fassent eux-mêmes bousculer par d’autres, dans la course infinie à l’entrepreneuriat technologique.
Ce site a une vocation plus encyclopédique que chronologique. Malgré mon disclaimer au début de chaque article, je passe quasiment plus de temps à mettre à jour mes articles existants qu’à écrire de nouveaux articles, qu’à présenter de nouveaux outils. Ma liste de brouillons est tellement longue que ça paraît ridicule. Mais il n’y a bien que les années d’expérience qui vous apporteront plus qu’une énième vidéo sur les outils favoris de votre YouTubeur fétiche.
Boring is the new shiny
La prochaine fois que vous êtes attiré par un nouvel outil à la mode, souvenez-vous de cette histoire de raquette. Je ne vous dis pas de constamment résister à vos pulsions d’early adopter, dont je suis moi-même régulièrement victime. Mais n’oubliez pas que peu importe la raquette de tennis que vous utiliserez, c’est toujours Roger qui gagnera à la fin.
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🙏 Merci pour votre lecture
Je sais que votre attention a beaucoup de valeur, dans ce monde où ceux qui essaient de la capter sont de plus en plus nombreux. Votre temps, lui, n’est pas extensible, alors ça me touche d’autant plus.
Si mes textes vous ont apporté quelque chose et que vous aimeriez rendre la pareille, le mieux est d’en parler autour de vous. Si vous êtes conscient du temps que ça représente, vous pouvez aussi m’offrir un thé.
💬 Commentaires et contributions
La transmission est souvent synonyme d’amélioration. Je partage mes façons de travailler pour que n’importe qui puisse me dire des choses comme : « Hey, c’est pas du tout optimisé ton truc là ! Pourquoi tu n’utilises pas plutôt cet outil ? »
L’optimisation est un chemin sans fin. On trouve toujours des moyens pour être plus efficace. Si quelque chose ne vous semble pas optimal, expliquez-moi comment je pourrais m’améliorer. 💙
Racontez-moi votre organisation, vos problèmes, vos outils favoris. Je pourrais écouter des gens m’exposer leurs workflows personnels pendant des heures.