L’expression « prendre des notes » veut tout et rien dire. Ça va de noter un numéro de téléphone à l’arrache sur un bout de papier, à mettre en forme proprement une pensée bien structurée.
Pour clarifier, on pourrait déjà diviser l’expression générique de « prise de note » en deux grandes étapes :
- Capturer l’information (pour ne pas la perdre) ;
- Traiter l’information (l’approfondir, la qualifier, la ranger à sa place, y réfléchir, la présenter correctement).
La distinction est super importante.
1. Capturer l’information
Commençons par cette première étape, qui correspond selon moi à la véritable « prise de notes ». Elle est délibérément bordélique, brute et déstructurée. Presque sale.
Le but d’une bonne prise de notes n’est pas de bien présenter l’information, c’est de la capturer avant qu’elle ne disparaisse. Il s’agit de noter quelque chose pour ne pas l’oublier. D’en laisser une trace écrite en lieu sûr, pour décharger son cerveau.
J’ai pris l’habitude de noter énormément de choses (des idées, des tâches, des projets, ou toute information utile qui me passe par la tête), dans le simple but de ne pas les oublier. Car je sais très bien que si je ne note pas une idée qui me passe par la tête sur-le-champ, alors je vais certainement l’oublier. Les distractions sont tellement nombreuses que pour tout ce qui n’est pas essentiel, il y a de fortes chances que ça passe à la trappe. Ce n’est même pas une question de mémoire. Le cerveau est sollicité au quotidien par une multitude d’informations plus ou moins cruciales — une information en chasse rapidement une autre, et ainsi de suite. Alors comme je déteste les promesses non tenues, si je dis à quelqu’un « cool, je vais regarder ! » au cours d’une conversion, je le note. Sinon, je sais très bien que je vais oublier de le faire.
Peut-être que l’idée me reviendra plus tard, mais ce sera souvent au prix d’une charge mentale désagréable (« bordel, qu’est-ce que je devais faire déjà ? »). Le pire étant ces moments où je ne parviens pas à me souvenir de quelque chose qui me semblait important, mais que je n’ai pas pris la peine de noter. J’appelle ça le « nuage noir », ce truc qui vous hante en continu, qui vous laisse croire que vous avez oublié quelque chose d’important. C’est synonyme de stress, de désorganisation et de mauvaises décisions.
A contrario, la prise de notes est synonyme de soulagement. Une fois que c’est noté, j’ai l’esprit libre. Je peux oublier. Je n’aurai pas besoin de faire l’effort de me souvenir de cette idée, ni de décider si ça mérite mon attention. Je décharge mon cerveau, et on verra la suite plus tard.
Le grand piège de la prise de notes, c’est de vouloir traiter l’information au moment de la capture. Dit autrement, de passer tout de suite à l’étape 2. Si vous êtes dans les bonnes dispositions pour traiter l’information, alors tant mieux. Autant la classer et la structurer directement, en effet.
Mais dans la pratique, il y a de fortes chances que cela vous interrompe dans ce que vous étiez en train de faire — les interruptions étant l’ennemi numéro 1 de la productivité. Le défi de la phase de capture, c’est que les informations à recueillir peuvent arriver n’importe quand. Pire, les meilleures idées arrivent souvent dans les moments où nous sommes le moins bien prédisposés à les noter (sous la douche, en marchant, pendant une discussion passionnée avec quelqu’un d’autre, etc.).
Prenons un exemple typique : une belle idée vous vient pendant une conversation avec un ami. Il faut que vous en preniez note sur-le-champ pour ne pas l’oublier. Mais en voulant brûler les étapes, voici ce qui se passe dans la pratique :
- Sortir son téléphone de sa poche.
- Déverrouiller son téléphone.
- Ouvrir son application de prise de note.
- Choisir à quel endroit ranger la note.
- Réfléchir à la meilleure manière de la présenter.
- Réfléchir à la meilleure manière d’archiver l’information.
- …
- Écrire la note.
- Enregistrer (capture terminée).
Non seulement vous avez complètement cassé le rythme de la conversation avec votre ami, mais en plus votre note n’est pas si bien qualifiée que ça. C’est le pire des deux mondes.
Il est tentant de qualifier l’information au moment de la capture, mais c’est rarement efficace. Il vous faut au contraire un endroit réservé à cette prise de notes brute, déstructurée et volontairement bordélique. La seule chose qui compte est d’aller vite. La qualification, ce sera pour plus tard.
L’enjeu de cette phase de capture/collecte/recueil se résume donc en deux mots : vitesse d’exécution. Il faut être capable d’agir vite et dans n’importe quel contexte. Il s’agit de noter le plus rapidement possible, en minimisant l’interruption inhérente à la capture. Les outils que vous utilisez pour votre capture sont donc essentiels. On y arrive.
📝 Capture : méthode papier
Quand on a compris que tout se joue sur la vitesse d’exécution, même les personnes les plus allergiques au papier crayon peuvent l’admettre : cette bonne vieille prise de notes manuscrites reste un des moyens les plus efficaces pour capturer l’information.
C’est l’un des rares cas où le papier crayon me semble encore compétitif. J’ai toujours une feuille et un stylo sur mon bureau, et il m’arrive de m’en servir. J’ai aussi un Moleskine dans mon sac à dos, ou encore sur ma table de nuit. Mais les déficits du monde réel (pas de copier-coller, indexation pourrie des données, pas de recherche, etc.) me font privilégier une solution plus « numérique » dans l’immense majorité des cas. Vivement un ⌘F dans la vraie vie.
💻 Capture : méthode sédentaire
Quand je suis dans mon environnement de travail le plus courant (derrière mon ordinateur), ma capture passe essentiellement par un workflow Alfred qui envoie mes notes sur un tableau Trello. Ce dernier ne servira qu’à l’étape 2.
Mise en situation typique : je suis en train d’écrire un article, et une pensée me traverse l’esprit (exemple : « il ne faut pas que j’oublie d’envoyer cet article à Jean-Michel »). À ce moment-là, je ne veux pas m’interrompre dans la tâche que je suis en train de faire (écrire mon article) ; je veux simplement sortir cette idée de mon cerveau, pour y revenir plus tard, au calme, quand j’aurai du temps à y consacrer. C’est exactement ce que je fais avec ce workflow :
C’est ma façon la plus rapide que de noter quelque chose lorsque je suis derrière mon ordinateur. Je n’ai pas besoin d’ouvrir une application de prise de notes, de me mettre dans le bon dossier, d’ouvrir je ne sais quel fichier… Non, peu importe ce que je suis en train de faire, je me contente d’ouvrir Alfred et de taper immédiatement ce que j’ai à noter pour ne pas l’oublier. J’ai alors déchargé mon cerveau, et je peux revenir à ce que je faisais sans avoir (trop) perdu le flow.
Ma vie a vraiment changé depuis que ce combo Alfred + Trello me permet de capturer l’information aussi rapidement.
📱 Capture : méthode mobile
La méthode ci-dessus ne fonctionne évidemment que dans les situations où je suis derrière mon ordinateur. Pour toutes les autres, je ne suis généralement jamais très loin de mon téléphone. J’utilise alors le widget Android de Trello (dont le raccourci est très facile d’accès) :
Après avoir testé pas mal de solutions de prise de notes, je n’ai rien trouvé d’aussi rapide que ça.
- Un tap pour lancer le widget.
- J’écris.
- Un tap pour valider.
- Boom. C’est fini. Esprit libéré.
Truc important : ça fonctionne hors-ligne. Une aubaine pour mes trajets en métro, le moment où mes meilleures idées choisissent toujours d’arriver (quand ce n’est pas sous la douche — où des solutions existent également). Trello stocke la note en local avant de la synchroniser une fois qu’on récupère une connexion. C’est du moins ce que je présume, n’ayant jamais eu de problème de perte de notes en plusieurs années d’utilisation.
Il m’arrive aussi de prendre des photos, car c’est diablement efficace pour capturer beaucoup de contenu rapidement. S’il y a plus d’un mot à noter et que l’environnement permet de prendre une photo sans avoir l’air d’un psychopathe, alors la photo est plus rapide que l’écriture. Désolé SwiftKey, mais là tu ne peux pas rivaliser.
🗣️ Capture : méthode orale
Je n’utilise pas très souvent les interfaces vocales (du type Google Home, Alexa ou Siri), mais il faut bien avouer qu’elles sont imbattables dans certains cas. Celui où on a les mains occupées, par exemple. Il m’arrive donc de lâcher quelques « OK Google, note pour moi blablablabla
». Ce qui est marrant, c’est que je peux là aussi faire arriver cette note dans mon tableau Trello consacré, dont il est justement temps de parler.
2. Traiter l’information
Ces notes — très brutes de décoffrage, c’est le but — arrivent donc dans un tableau Trello entièrement consacré à ça :
C
au moment de la survoler. Ça change la vie.C’est un tableau très simple, composé d’une unique colonne dans laquelle arrivent toutes les notes, sous forme de carte Trello. C’est à partir de là que je peux m’attaquer à la deuxième étape : traiter l’information.
Contrairement à la phase de capture, cette étape ne se déroule pas dans un environnement contraignant où seule la vitesse compte. C’est tout l’intérêt d’avoir décomposé le processus en deux étapes : cette fois-ci, je peux prendre le temps de bien qualifier l’information. Alors en quoi ça consiste, concrètement ?
On peut voir ce tableau comme une liste de tâches. Ce n’est pas complètement exact, puisque je m’en sers pour noter tout et n’importe quoi (et pas uniquement de vraies tâches ; pour ça je procède autrement). Il n’empêche que chaque carte Trello de cette « Inbox » peut être vue comme une tâche à traiter. C’est en tout cas la manière dont je procède : je prends chaque carte une par une, et je décide de ce que j’en fais avant de l’archiver (pour vider la boîte de réception). Il y a grosso modo deux types d’actions :
- Traitement simple. Je traite la carte immédiatement, puis je l’archive. C’est valable pour toutes les tâches que je peux exécuter rapidement, sans réflexion très élaborée. Par exemple, si la note implique de jeter un œil à un quelque chose dont on m’a parlé, j’archive la carte dès que j’ai terminé mon exploration. Si la note est un numéro dont je n’ai plus besoin de me souvenir plus tard, j’archive. C’est l’équivalent d’un post-it que je jette à la poubelle.
- Traitement plus élaboré. Souvent, la note brute issue de la capture va se transformer en une version plus sophistiquée. Elle prendra généralement la forme d’une page Notion bien documentée, que je classerai au bon endroit de ma base de connaissances. L’objectif premier : pouvoir retrouver cette information dans le futur. Je veille donc à la ranger au bon endroit dans ce qu’on peut aussi appeler mon wiki personnel, et je fais en sorte qu’elle soit correctement indexée par le moteur de recherche. Une fois que c’est fait, j’archive la carte Trello.
Il y a quelque temps, je m’étais amusé à identifier tous les types de choses qui arrivent dans mes notes, et à quel endroit je les range lorsqu’elles ne sont pas archivées directement. Ça donnait quelque chose comme ça :
📥 Type de truc qui arrive dans mes notes | 🧹 Endroit où je la range (ce que la note devient) |
Tâche importante | |
Truc à acheter, course à faire | Liste de courses (Google Keep) |
Idée à creuser | Nouvelle page Notion, pour élaborer |
Article à lire | |
Livre à lire | Page Notion existante, dont c’est l’unique but |
Jeu vidéo à jouer | Page Notion existante, dont c’est l’unique but |
Film ou série à voir | |
Vidéo à voir | Playlist YouTube, dont c’est l’unique but |
Musique à écouter | Playlist YouTube Music, dont c’est l’unique but |
Endroit à explorer | Page Notion existante, dont c’est l’unique but |
Restaurant à tester | Page Notion existante, dont c’est l’unique but |
Idée de voyage, sortie | Page Notion existante, dont c’est l’unique but |
Idée d’article | Nouvelle page Notion, pour élaborer |
Note pendant un rendez-vous | Compte rendu de conversation sur Notion |
Information de contact |
Tout ce qui n’entre pas dans ce cadre est généralement traité sur-le-champ, sans grande « qualification ». Mais quelle que soit la complexité du traitement, l’objectif final est le même : ça doit disparaître du tableau Trello.
Inbox Zero
Pour que le système fonctionne, il est important de vider régulièrement le tableau. Comme toute autre gestion de boîte de réception, je veille à ne jamais me faire déborder. On peut voir ce tableau comme une phase transitoire pour des notes brutes de décoffrage qui, au moment où elles sont prises, ne laissent pas le temps de bien les qualifier. Mais une fois qu’elles arrivent ici, j’arrête les conneries et je fais les choses proprement. Je fais le ménage. Tout doit être propre, et ça implique de garder un œil sur ce tableau très régulièrement.
Comme disait Jason Fried :
The best way to get things done is to have fewer things to do.
Dit autrement, plus vous avez de choses à faire dans une liste de tâches, et moins il y a de chances que vous accomplissiez quoi que ce soit. Vous serez découragé (et même paralysé) par la taille du chantier. D’où l’intérêt de traiter cette boîte de réception selon les principes de l’Inbox Zero. Je n’y laisse jamais plus d’une dizaine de notes simultanément.
Trello n’est peut-être pas une application de prise de notes à proprement parler, mais je n’ai rien trouvé de plus efficace pour mettre en œuvre cette méthodologie.
📷 Traitement des notes au format « photo »
Je vous racontais tout à l’heure que mes notes de la phase de capture sont parfois au format « photo ». Le principe est exactement le même, sauf qu’au lieu d’arriver dans mon tableau Trello, les photos arrivent dans un dossier spécifique de ma Dropbox. Ce dossier est donc traité, lui aussi, comme une boîte de réception, façon Inbox Zero. Je fais que j’ai à faire avec la note, puis je supprime le fichier.
L’intérêt d’une prise de notes efficace
Voilà, vous savez tout — ou presque — de mon processus de prise de notes. Je l’utilise depuis plusieurs années et il m’apporte beaucoup de satisfaction. Parfois, quand je ne parviens pas à me souvenir de certaines informations, je regrette de ne pas avoir commencé plus tôt.
Notre cerveau a beau être impressionnant pour mémoriser certains éléments, sa fiabilité à long terme reste assez médiocre lorsqu’il s’agit de se souvenir de certaines discussions ou décisions. C’est toujours incroyable de lire ses propres notes quelques années plus tard. On se rend compte à quel point on avait tout oublié. C’est dans ces moments-là qu’on comprend la pertinence de la prise de notes (alors que sur le moment, ça peut sembler inutile). La tendance que peut avoir notre cerveau à complètement oublier certaines choses sur le long terme est assez étonnante.
Cela dit, il faut être à l’aise avec un fait : une quantité significative de vos notes ne serviront jamais à rien. Peut-être même la majorité. Mais ce n’est pas grave. C’est le jeu. La tranquillité d’esprit apportée par la prise de notes vaut déjà plus que l’anxiété potentiellement produite si vous ne notez rien.
C’est un des fondements de la méthode GTD : si vous ne listez pas 100 % de vos tâches et de ce qui vous passe par la tête, toutes celles que vous n’aurez pas notées (même si elles sont peu nombreuses) vont constamment vous encombrer l’esprit, comme un nuage noir. Même si vous avez noté 90 % de vos tâches, les 10 % restants seront ressassés en permanence dans votre cerveau, et vous empêcheront d’être efficace dans votre exécution. La solution n’est pas très compliquée : notez tout. Déchargez votre cerveau. Vous avez maintenant de bons exemples d’outils qui vous aideront à y parvenir.
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🙏 Merci pour votre lecture
Je sais que votre attention a beaucoup de valeur, dans ce monde où ceux qui essaient de la capter sont de plus en plus nombreux. Votre temps, lui, n’est pas extensible, alors ça me touche d’autant plus.
Si mes textes vous ont apporté quelque chose et que vous aimeriez rendre la pareille, le mieux est d’en parler autour de vous. Si vous êtes conscient du temps que ça représente, vous pouvez aussi m’offrir un thé.
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La transmission est souvent synonyme d’amélioration. Je partage mes façons de travailler pour que n’importe qui puisse me dire des choses comme : « Hey, c’est pas du tout optimisé ton truc là ! Pourquoi tu n’utilises pas plutôt cet outil ? »
L’optimisation est un chemin sans fin. On trouve toujours des moyens pour être plus efficace. Si quelque chose ne vous semble pas optimal, expliquez-moi comment je pourrais m’améliorer. 💙
Racontez-moi votre organisation, vos problèmes, vos outils favoris. Je pourrais écouter des gens m’exposer leurs workflows personnels pendant des heures.